A l’occasion de la Journée internationale de la Femme, nous avons rencontré l’experte Anne-Louise Swain, coach de carrière pour les femmes à Zurich, sur le rôle que peut jouer le recrutement sur l’égalité des sexes. Découvrez l’interview.
Pourquoi adressez-vous vos consultations en planification de carrière uniquement aux femmes?
Il ne s’agit pas d’une stratégie marketing. Cette décision se fonde avant tout sur le constat qu’il manque encore sur le marché un accompagnement prenant en compte les aspects spécifiquement féminins de la recherche d’emploi. En effet, les femmes sont souvent confrontées à des défis que l’on considère comme typiquement féminins, comme le fait de concilier vie professionnelle et vie de famille, les CV non linéaires, le manque d’expérience dans le fait de reconnaître ses propres besoins, le manque de confiance en soi, etc. Ces clientes ne recherchent pas de conseils patriarcaux dépassés alimentant les stéréotypes. Elles veulent des coachs qui comprennent et prennent au sérieux leurs besoins. C’est pourquoi nombreuses sont celles qui optent volontairement pour un accompagnement complet de femme à femme.
Si je propose mes coachings de carrière uniquement aux femmes, c’est aussi parce que je m’identifie particulièrement aux femmes et à leurs besoins. Je suis moi-même une mère et j’ai longtemps été confrontée au défi de concilier activité professionnelle et responsabilités familiales. Ce sont des sujets qui préoccupent la majorité de mes clientes. Outre la théorie, je connais donc des solutions pratiques, que j’ai moi-même expérimentées.
La recherche d’emploi ou le retour au travail sont-ils plus difficiles pour les femmes que les hommes?
J’ai constaté que les CV linéaires masculins avec des emplois fixes en série et des étapes de carrière logiques constituent une valeur de référence en Suisse. Les parcours des femmes, ponctués de responsabilités familiales, sont généralement moins linéaires. Ainsi, se positionner sur le marché de l’emploi constitue un défi malheureusement plus important pour les femmes, et en particulier celles reprenant le travail après une interruption.
A mon avis, le plus grand défi réside à faire peu à peu disparaître les stéréotypes sur les femmes qui sont ancrés dans l’inconscient collectif. Une femme devrait être modeste, réservée et dévouée pour sa famille. Une perception qui peut être dangereuse pour la vie professionnelle. Il est donc difficile pour beaucoup de femmes de se positionner pendant le processus de candidature, d’exiger un salaire adéquat ou de demander un soutien financier pour leur formation continue à leur employeur.
Il faut prendre conscience que les femmes, avec leurs parcours souvent très colorés, font preuve d'une motivation particulièrement élevée et sont prêtes à s’engager pour relever des défis.
Que peut-on modifier au processus de recrutement pour garantir l’égalité des sexes?
Afin de mieux garantir l’égalité des sexes, je pense que les recruteurs et les dirigeants devraient être sensibilisés aux préjugés et lutter contre les stéréotypes. Il faut prendre conscience que les femmes, avec leurs parcours souvent très colorés, font preuve d’une motivation particulièrement élevée et sont prêtes à s’engager pour relever des défis.
Je conseille aux femmes de se préparer à être confrontées à des préjugés au cours du processus de recrutement. Une partie de mon coaching consiste d’ailleurs en un argumentaire taillé sur mesure que je présente aux femmes afin qu’elles puissent lutter avec conviction contre les éventuels préjugés. En effet, la plupart des préjugés actuels sont sans fondement et peuvent être invalidés durant l’entretien d’embauche. Les femmes de 50 ans et plus, en particulier, sont souvent confrontées à des préjugés. Par exemple, elles seraient moins intéressées par le fait d’apprendre de nouvelles choses que leurs collègues plus jeunes. Le fait est que l’on propose environ 25% plus rarement une formation continue aux employés de plus de 45 ans qu’aux employés entre 35 et 44 ans. Il est donc plus difficile pour les collaborateurs plus âgés de s’adapter à l’évolution rapide du monde du travail. Toutefois, une éventuelle performance réduite n’est souvent pas la conséquence d’un âge avancé mais de formations continues insuffisantes. C’est pourquoi je conseille à mes clientes de mettre en avant les formations suivies ces dernières années (même celles suivies pendant leur temps libre) et/ou de mentionner des exemples concrets de situations récentes où elles ont pris en charge de nouvelles tâches ou se sont engagées pour un nouveau projet.
Que pensez-vous des CV anonymisés, sans photo ni âge, afin d’éviter la discrimination sur la base de l’âge et du sexe?
C’est une possibilité. On pourrait même aller plus loin en effaçant le nom et la nationalité des candidats, afin d’éviter que les personnes issues de l’immigration ne soient, elles aussi, discriminées. Ou en ne mentionnant pas les enfants de façon générale.
En tant que coach de carrière, je déconseille ce type de procédé et encourage mes clientes à jouer cartes sur table. A quoi cela servirait-il si elles sont discriminées sur la base de leur genre, de leur âge, etc., une fois conviées à un entretien d’embauche?
Où voyez-vous le plus grand potentiel d’amélioration dans le processus de recrutement?
Toujours plus d’entreprises utilisent des algorithmes lors de la présélection des candidatures en ligne. La voie traditionnelle, qui consiste en la lecture des documents par les recruteurs ou les dirigeants, finira par disparaître du processus de recrutement. Je suis cette évolution avec inquiétude car les femmes dont le CV n’est pas linéaire, les immigrées avec des formations et expériences professionnelles en dehors de la Suisse et les femmes de plus de 50 ans doivent surmonter des obstacles plus importants et sont vite écartées par les algorithmes. C’est là que je vois un potentiel d’amélioration et j’appelle les recruteurs à faciliter l’accès au marché de l’emploi pour les personnes concernées grâce à des formes de recrutement plus classiques.
En outre, je conseille à mes clientes de se renseigner via les réseaux sociaux ou via leurs contacts personnels sur les recruteurs ou leurs supérieurs potentiels. Les chances d’obtenir un emploi sont bien plus élevées si ceux-ci ont un âge similaire à celui des candidates, une famille ou s’ils s’ont issus de l’immigration.
De façon générale, les recruteurs devraient se montrer ouverts, s’intéresser aux parcours professionnels non linéaires et s’efforcer d’y voir le potentiel que cela représenterait pour l’entreprise.
Que conseillez-vous aux recruteurs pour embaucher du personnel de façon impartiale?
De façon générale, les recruteurs devraient se montrer ouverts, s’intéresser aux parcours professionnels non linéaires et s’efforcer d’y voir le potentiel que cela représenterait pour l’entreprise. De plus, il serait souhaitable que les recruteurs soient ouverts aux solutions créatives et aux modèles de travail compatibles avec la vie de famille. Par exemple, tout ce qui concerne le Home Office, les horaires de travail flexibles, le job sharing ou toute autre stratégie améliorant la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée. Et cela concerne non seulement les femmes, mais également les hommes, qui souhaitent de plus en plus assumer leur rôle de père en travaillant à temps partiel.
Depuis plus de dix ans, Anne-Louise Swain se consacre à sa vocation: le coaching de carrière pour les femmes. Après plusieurs années dans un centre de consultations pour femmes à Berne en tant que conseillère, elle s’est mise à son compte il y a deux ans et dirige le siège de son entreprise à Berne ainsi que sa succursale à Zurich. Pour plus d’informations: https://www.annelouiseswain.ch/